1er Août 2018 3ème jour de la Décade du Lapin ( Lune de l'Esprit ) -
Les Terres de Kirin Tor

Jarhod

Points : 10
Joué par : wiz Joué par : [ Information masquée ]
Age : 37
Lieu de naisance : Stormwind la vieille
Sexe : Homme
Race : Humain
Faction : Alliance
Formation : Démoniste
Niveau : 15
Guilde :

 
Troisième Ère [4]
Lune de la Force
Décade du Panda
Décade du Gorille
Décade de l'Ours
Lune d'Agilité [1]
Décade du Tigre
Décade du Singe [1]
[Légende d'Ishara] Les témoins de Jarhod - 1
6 ans plus tôt à Goldshire.

Le conteur avait terminé. Aucun applaudissement ne vint marquer la fin de son récit. Le brouhaha ambiant n'avait fait que baisser d'un iota, le son de sa voix, pour la simple et bonne raison qu'il avait parlé et que personne ne l'avait écouté, du moins, personne n'avait entendu la totalité de l'histoire selon lui. Si certains groupes, aprement lancé dans quelques débats stériles, avaient, lors d'une pause, perçu quelques bribes de sa légende, alors ils n'en montraient rien. Déçu, le barde se renfrogna, et se prépara à partir. L'audience d'une salle commune d'auberge bondée venait de lui être volée par l'indifférence la plus totale.

Néanmoins, alors qu'il rabattait son manteau sur ses épaules, prêt à en découdre avec le mordant froid de cette soirée d'hiver, une chope pleine de bière se posa à ses pieds. Il leva le nez vers son bienfaiteur, un homme, la trentaine mûre, portant une barbe raffinée, les cheveux auburn mi-long et des vêtements de belle facture. Il esquissa un sourire, alors que ce dernier attrapait un tabouret pour s'asseoir en face de lui, dos à la cheminée, laissant le contre-jour produire sur son visage d'inquiétantes ombres.

- Messire, vous m'honnorez par ce présent, fit le conteur en ramassant la bière et se calant à nouveau sur son tabouret. Je vous remercie.

Il se débarassa de son manteau sous le regard inquisiteur de son visiteur, laissant apparaître des vêtements qui avait pu être, quelques mois auparavant, de riches atours, mais devenu avec l'usage, de sales chiffons ayant mal traversés les épreuves du voyage.

- Ceci n'est pas un remerciement, mais une incitation, dit l'autre homme d'un ton calme et parfaitement neutre.

Le barde se fendit d'un sourire sous son épaisse barbe hirsute. Il était blond paille et ne devait pas avoir la chance d'entretenir souvent sa personne. Cela se ressentait dans l'odeur peu agréable qui émanait de lui, relents de crasse, de sueur et de boue accumulées sur ses chausses rapiécées.

- J'ai d'autres récits pour vous messire, autant que vous voudrez en écouter, répondit-il espérant finalement pouvoir rester plus longtemps au chaud.
- Je ne veux entendre d'autres récits que dans la mesure où ils se réfèrent à celui que vous venez de faire, articula posément l'auditeur.

Si le ton employé était neutre et le visage impassible, il y avait comme une lueur inquiétante dans les yeux de cet interlocuteur. Le conteur ne put réprimer un frisson. Il s'efforça de sourire et s'apprêta à prendre la parole mais l'autre intervint avant lui :
- Et autant que faire se peut, évitez les paraboles, les délires poètiques et les formules emphatiques. Allez à l'essentiel, je n'ai pas de temps à perdre.

Cette fois le ton était peu amène et sans équivoque. Le vagabond se donna une contenance en dégustant une lampée de bière sous l'oeil intransigeant de son client. Il se racla la gorge, reposa sa chope par terre et se força à respecter les contraintes qu'on venait de lui donner. Solennellement, il entreprit de détailler toutes les petites histoires qui se rattachaient à sa légende fétiche ou qu'il avait extrapolé de bruits qu'ils avaient pu entendre à droite ou à gauche. Il dut être assez efficace, songea-t-il, car l'homme qui l'écoutait ne l'interrompit à aucun moment pour le reprendre à propos de digressions ou de fariboles malvenues. La taverne commençait même à se vider, les hommes, harassés par leur journée de labeur et une soirée bien arosée, rentrant pour jouir d'autres plaisirs, plus intimes pour certains, laissant là les voyageurs et autre gens de passage.

- Bien, fit l'unique spectateur du conteur en se levant. J'en ai assez entendu.

Il se tourna, abandonant là et sans un mot de plus son invité. Durant la discussion, les chopes vides s'étaient accumulées au pied de celui-ci, relativement satisfait, à l'exception de l'espoir déçu de n'avoir reçu une pièce afin de louer une paillasse pour la nuit. Toutefois, le bienfaiteur s'arrêta, et, tournant le dos au ménestrel, lui posa une question :
- Quel est votre nom ?

Le conteur se demanda si on s'adressait bien à lui, mais manifestement, cette interrogation ne concernait personne d'autre :
- Taleyran, messire.

Interpellé, l'homme aux regard inquiétant lui fit face, une légère surprise affichée sur les traits de son visage :
- Je connais un auteur de fadaises du nom de Taleyran Trausanal. Etes-vous cette homme ?
- Je connais aussi cet homme, répondit le barde avec prudence.

Il allait demander l'identité de son client, mais il se ravisa. Il était un vagabond et cette personne bourgeoise aurait sûrement mal pris une telle audace. Ces choses-là ne se faisaient pas. Il se contenta de baisser la tête vers ses chopes vides. L'homme se détourna de lui, se contentant visiblement de cette réponse, et s'en alla sans saluer quiconque dans la salle commune de la taverne, maintenant presque déserte. La porte claqua derrière lui, propulsant un souffle glacé à l'intérieur. La mort dans l'âme, Taleyran ramassa son manteau, alors que le tenancier s'approchait de lui.

- Allons, mon gars, commença l'homme bien portant.
- Oui, oui, j'y vais, dit Taleyran en s'activant.
- A moins que tu veuilles te geler les couilles par ce temps-là, ou te les faire bouffer par un loup affamé, je te conseille de rester là, lança le maître des lieux.

Le conteur releva la tête, le regard plein de gratitude.
- Oh, merci mon brave.
- Pas d'effusion bonhomme, coupa l'homme en ramassant les chopes vides. Après tout, tu m'as fait faire mon beurre, même si c'est toi qui l'a consommé.
Il partit d'un grand rire sonore, qui surprit les quelques derniers convives de l'Auberge de la Fierté du Lion. Avant qu'il ne s'éloigne, Taleyran lui demanda :
- Vous connaissez l'homme qui vient de partir ? Il avait un de ces regards...
- Oui mon gars. Ce type s'appelle Jarhod Shiredwin. Quant à son regard, je crois bien qu'il a toujours été comme ça. Dérangeant, hein ? Je me demande s'il aurait pas mieux fallu qu'il te donne l'argent qui a payé mes bières. J'ai bien peur d'avoir chopé le mauvais oeil.

L'aubergiste émit un ricannement avant de disparaître dans ses cuisines au-delà de son comptoir. Taleyran, connaissant un peu les lieux, ouvrit un coffre duquel il sortit une fine paillasse peu soigneusement rangée. Il la déplia et l'étala non loin du feu. Se drapant dans son manteau, il se coucha en chien de fusil et rêva à sa prochaine destination, loin au nord... Au nord.
 
Décade du Faucon
Lune de l'Esprit [3]
Décade de la Chouette
Décade de la Baleine [1]
[Légende d'Ishara] Les témoins de Jarhod - 2
3 ans plus tôt à Stormwind

Un regard absent se posa sur la jeune femme. Sa gorge était en feu, déchirée par d'incessants hurlements. Son épuisement physique, déjà considérable, n'était rien au regard de l'anéantissement complet de sa volonté. Son esprit s'était replié dans la folie, une bienheureuse catatonie qui laissait son corps torturé à l'abandon. L'incomensusable et interminable douleur s'était muée en silence morbide. L'homme sortit de sa contemplation pour se consacrer à ses notes, et sans l'ombre d'une émotion, il nota scrupuleusement l'état de sa patiente.
- Dois-je continuer, maître ? l'interrompit une voix d'outre monde.
Agacé, l'homme leva les yeux vers la créature qui venait de parler. Noyée dans les ténèbres, elle était nimbée d'un feu obscur qui projetait des ombres en lieu et place de la lumière. Son regard tomba à nouveau sur la victime de son séïde, une jeune femme qui avait pu être belle auparavant, nue, allongée sur une table, poignets et chevilles enserrés dans de grossiers bracelets métaliques reliés à des chaines tendues de part et d'autre, d'un côté fixées à une extrémité de la table, de l'autre reliées à un treuil. Ainsi immobilisée, elle n'avait pu se défendre contre les expériences du rejeton abyssal qui se dressait à côté d'elle et qui lui avait arraché d'horrible cris de souffrance des heures durant. Mais depuis peu, elle ne hurlait plus. Ses yeux exhorbités, grand ouvert, semblait sans vie. Son esprit s'était enfui. Sa poitrine sauvagement tailladée se soulevait à peine.
Un murmure étouffé attira l'attention de l'homme sur sa droite. De temps en temps, l'individu réduit à l'impuissance qui était emprisonné dans ce carcan intégral, émettait un son pour manifester sa désaprobation. Un savant appareil lui maintenait les yeux ouvert pour qu'il ne put manquer une miette du spectacle qui s'offrait à lui : sa femme, torturée, laissée à la merci de l'imagination fertile d'un démon. A présent, les yeux de cet homme, rougis par le chagrin, encore brulant de haine quelques heures plus tôt, affichait le désespoir le plus complet. Le carcan immobilisait sa tête et un baillon l'empêchait de parler.
Le maître des lieux fit claquer sa langue avant de tourner à nouveau son regard vers le monstre ténébreux. Indifférent, le démon se léchait les griffes et les doigts englués de sang, n'attendant pas vraiment de réponse à sa question.
- Vois-tu le moindre intérêt à continuer tes expériences sur un sujet incapable d'en profiter ? questionna l'homme.
La chose obscure releva la tête. Il était impossible de distinguer ses traits faciaux, donc de percevoir autrement que par l'expression des ses yeux jaune et luisant, si l'intelligence et la compréhension la gagnaient.
- Non, maître. Conclut-elle.
Immédiatement, le démon dressa l'une de ses pattes griffues, prête à la plonger dans l'abdomen de sa victime.
- Halte ! lança le maître.
Le monstre se figea.
- Il n'est pas temps de dévorer son coeur encore, je ne l'ai pas autorisé.
La créature se renfrogna. L'homme jeta un oeil à un étrange artefact posé sur sa table de travail et prit quelques notes supplémentaires.
Un haut-le-coeur seccoua son majordome qui venait d'entrer dans la pièce par l'escalier. Il ne put s'empêcher de dégobiller son diner par terre. Sans se retourner, le seigneur des lieux émit un claquement de langue réprobateur, y ajoutant d'un ton calme :
- Par le Néant Distordu, Salbertin, si tu n'es pas en mesure de pénétrer dans cette pièce déjà particulièrement insalubre sans y rendre tes repas à moitié digéré, je te suggère d'éviter d'y venir.
La bouche encore imbibé de bile, le serviteur balbutia :
- Oui, maître Jarhod. Je...
- Et dis-moi ce que tu veux au plus tôt.
- Juste vous prévenir que le seigneur Hurlemort est arrivé.
- Parfait. Fais-le patienter.
Le majordome se retira sans risquer un regard de plus à l'intérieur de la salle. Depuis son bureau, installé sur une haute marche de pierre, Jarhod Shiredwins surplombait le théâtre de ses expériences. Il se leva et descendit les quelques degré qui l'amenèrent près du chevalet de torture. Il sembla évaluer d'un oeil critique les blessures de l'humaine, estafilades, découpe savante, déchirement sauvage, morsure, et autres scarifications qu'elle portait. Le démon avait pris soin de garder intact ses yeux, mais le reste de son visage n'était plus qu'une bouilli sanguinolente. Jarhod eut peine à trouver ce qui ressemblait à des lèvres et y renonça finalement.
- Ouvre-lui la bouche ! ordonna-t-il à sa créature qui attendait son bon vouloir.
Celle-ci attrapa le menton de la femme et l'abaissa, enfonçant ses griffes dans les joues déjà percées de la prisonnière. Le maître des lieux tira de sa robe une petite fiole qu'il déboucha et dont il huma brièvement l'odeur avant de la renverser au-dessus de la bouche ouverte tout en faisant attention de ne pas frotter ses vêtements à l'engin de torture suintant de liquide ocre-rouge poisseux. Surpris, le démon retira sa main tandis que se régénérait sa victime à une vitesse hallucinante et jusqu'à ce qu'elle ne porte plus aucune trace de ses blessures hormis le sang qu'elle avait perdu et qui souillait sa peau blanche. La vie revint dans ses membres qui s'agitèrent inutilement, les bracelets de métal entamant déjà sa peau fraichement retrouvée. La vie revint également dans ses yeux qui roulèrent dans ses orbites et tombèrent à nouveau sur l'affreux monstre ténébreux. Aussitôt, elle hurla de terreur. Sans attendre, l'une des mains du démon scella ses lèvres avec force.
- Tu vas pouvoir recommencer, dit Jarhod avec sérénité à l'attention de son serviteur. Mais il te faut dépasser le seuil de souffrance que tu as produit tout à l'heure. Tâche d'être un peu plus original.
Il se tourna ensuite vers l'homme emprisonné dans son carcan. A nouveau la haine brulait dans son regard.
- Tu fais aussi partie de l'expérience, déclara Jarhod. Je sais que si je te proposais de prendre sa place, tu n'hésiterai pas. Même si je te demandais de la tuer, tu le ferai maintenant pour éviter qu'elle subisse ce qu'elle a déjà subie. Mais je veux savoir à quel point tu peux me haïr ou haïr Kogmar. Je veux savoir jusqu'à quel point ce seul spectable peut pousser l'esprit humain. Si tu n'avais simplement accepté la mort de ta femme, tu n'en serais pas là. Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.
Le démon n'avait pas bougé et son visage enténébré cherchait le mot d'ordre de son maître. Ce dernier rejoignit son bureau en silence. Se penchant dessus, il jetta un oeil à un sablier et nota rapidement l'heure sur son journal. Il passa ensuite la main sur l'artefact, une sorte de pierre précieuse qui vira du rouge au blanc, puis il releva la tête vers sa créature.
- Tu peux y aller Kogmar. Si elle sombre encore avant que tu aies atteint la couleur noire, je donnerai ton coeur en pature à mes chiens.
Le monstre d'obscurité grogna, puis d'une voix douce sussura quelques mots à l'oreille de sa victime :
- Je vais lentement, et avec soin, découper tes paupières, pour que ton regard ne puisse jamais se détourner. Je découperai ensuite de joli naperon avec ta douce peau blanche. Je dévorerai tes seins en fines tranches...
Jarhod soupira en entendant ces paroles et laissa là, la victime et le spectateur impuissant écouter la litanie de sa créature abyssale. En son for intérieur, il pestait. La chose avait prononcé exactement les mêmes paroles la première fois. De toute évidence, elle manquait totalement de suite dans les idées. Jarhod n'escomptait pas qu'elle se surpasse et il devrait sans doute trouver une autre solution pour satisfaire à ses besoins. En quittant la pièce, il s'assura que le sortilège d'isolation phonique faisait toujours effet, puis franchit la limite de portée de cette bulle au moment même où l'humaine poussa son premier hurlement.

 
Décade du Lapin [2]
[Légende d'Ishara] Les témoins de Jarhod - 3
9 mois plus tôt à Stormwind.

- Tu veux quoi ?! s'écria Ioan.
Toujours sous le coup d'une sourde colère, celle du mâle dominateur blessé dans son amour propre, le chevalier Shiredwin accusait le coup de la surprise.
- Quel besoin as-tu d'élever la voix, frère ? Je te demande de me donner accès à tes appartements. Ceux que tu dédies à tes activités brutales douteuses.
Celui qui venait de s'exprimer avec calme était Jarhod Shiredwin, l'ainé de la famille. Il regardait le colosse qui lui servait de frère d'un air mi-amusé, mi-sérieux. En face de lui, c'est une brute outrée, en passe de devenir violente et dont le visage rougissait de rage, qui gesticulait avec véhémence.
- Par l'Enfer, tu as beau être mon frère, je...
- Jure plutôt par la Lumière, le coupa froidement Jarhod. Je n'ai que faire de tes états d'âme, surtout depuis que tu as laissé s'enfuir ta femme.
Ioan leva la main, prêt à frapper son aîné. Tout deux se tenaient debouts dans le hall de la résidence de Ioan, fervent défenseur des vertus de la Lumière et fier paladin, entre autres choses. Devant le ton de la conversation, les serviteurs n'avaient pas daigné faire leur réapparition après avoir pris le manteau de Jarhod qui venait d'arriver. Le maître des lieux trouvait l'attitude de son frère de plus en plus détestable. Il lui avait toujours donné des ordres, ce qui, en soi, n'avait rien d'anormal. Il était l'aîné de la famille et avait l'ascendant sur son frère depuis que leur père était mort, lors de la seconde guerre, celle qui avait vu l'anéantissement de Stormwind. Mais ces dernières années, Jarhod avait changé. Il s'était lancé dans des expériences que le chevalier n'approuvait pas. Toutefois son avis ne comptait pas. Jarhod usait des ressources de la famille à ses fins et le colosse n'avait pas son mot à dire. En outre, il ne vivait pas lui-même dans la pauvreté, de nombreux pillages opérés sur les ressources reprises aux orcs et les lourds tribus de guerre sorti des terres conquises du Fléau, lui avait largement permi de subvenir à ses besoins. Il avait seulement fallu qu'il épouse une prêtresse de la Lumière issue d'une famille de drapier méconnue. Un arrangement pris des années auparavents par Jarhod. Il s'était vite rendu compte que cette jeune prêtresse faisait partie d'un projet à plus long terme de son aîné, un projet dont, somme toute, il ne savait rien.
Ioan retint son geste. Ce n'était pas l'attitude calme et sereine de Jarhod qui l'arrêtait, mais le risque de représaille qui s'en suivrait. Une menace pour le bon sens et la santé mentale. Ioan craignait le pouvoir des créatures dont son frère avait le contrôle, des démons, des créatures issues du Néant Distordu, les mêmes monstres qui faillirent réduire le monde en miette lors de la dernière guerre. Et la seule idée de voir apparaître un tel monstre en face de lui, voire même plus sournoisement derrière lui, le faisait frissonner.
- Je peux me passer de ton approbation, conclut Jarhod sans se départir de son ton tranquille et froid.
Ioan refréna ses envies. Il abaissa la main et se tourna sans un mot, invitant son frère à le suivre.
Ils pénétrèrent dans une cave de la maison, dont Ioan portait la clé sur lui. Elle sentait la suie, la sueur, le sperme et le sang. De la pièce émanait une aura inquiétante, inspirée par les chaines piquées de rouilles, les bracelets souillés de sang séché, les crochets, les cordes et le mobilier de bois grossier, des assemblages conçus dans un but éminemment pervers. Mais plus encore, l'on pouvait palper ici toutes les peurs et les souffrances de celles qui avaient séjourné dans cette antichambre du malheur. Ioan s'y sentait assez chez lui, et trouvait l'endroit assez intimiste pour ne pas y apprécier la visite d'un étranger, fut-il de sa famille. Jarhod fit un rapide tour d'horizon avant de désigner un objet accroché au mur.
- Tu l'as battu avec ça ?
Le ton était égal. Le démoniste semblait réellement désintéressé des conséquences morales des actions de son cadet.
- Oui, répondit laconiquement ce dernier.
Jarhod s'approcha de ce qui avait tout l'air d'une cravache. Celle-ci était tressée dans du cuir donc la découpe grossière rendait la texture particulièrement rugueuse. Après examen attentif de cet objet recouvert de sang et de minuscules lambeaux de peau de sa victime, Jarhod demanda :
- Elle n'a pas beaucoup servie, n'est-ce pas ?
- Non, fit Ioan.
- Achetée tout spécialement pour elle. Quelle charmante attention, ajouta ironiquement son aîné. Je te l'emprunte.
- Qu'est-ce que tu vas en faire ? demanda le colosse un peu surpris.
- Ce que j'ai besoin de faire avec, c'est à dire, rien qui ne te concerne directement.
Ioan haussa les épaules et secoua la tête. Sa colère s'était muée en frustration puis en dépit. Jarhod s'empara de l'objet en le tenant par le milieu du manche, le bas de ce dernier comportant des traces suspectes d'un autre genre. Puis, il se tourna, passa devant son frère sans un mot et quitta la pièce. Il ne mit pas longtemps à récupérer son manteau ainsi qu'un linge dont il enveloppa la cravache, et sortit de la demeure, laissant Ioan à la perplexité la plus profonde.
 
[Légende d'Ishara] Les témoins de Jarhod - 4
Il y a 3 jours à Stormwind.

Les mois s'écoulaient pour Ioan Shiredwin, sans que le succès ne se soit fait connaître. Il noyait ses frustrations dans une surabondance d'activités sexuelles douteuses et ne se préoccupait guère plus de ses devoirs militaires. La guerre était au point mort. Rappelé du front grâce aux manigances de son frère aîné, il n'avait pas davantage le désir d'accomplir la mission que ce dernier lui avait confié : retrouver sa propre femme. Elle avait depuis si longtemps quitté la région sans laisser de trace que Ioan avait rapidement perdu tout espoir de lui mettre la main dessus. A sa décharge, chercher une femme nommée Nausicaâ Shiredwin en omettant de parler de ce long paquet enrubanné qu'elle portait avec elle, n'aidait en rien ses recherches. Cependant la consigne de Jarhod Shiredwin, son aîné, était stricte, et il avait interdiction de susciter des interrogations autours de l'épée de son épouse. Livré à lui-même dans cette opération, et manquant singulièrement de subtilité, Ioan n'avait su mener l'enquête efficacement. Après des mois infructueux, il avait purement et simplement abandonné, se contentant de livrer à son frère de réguliers rapports ressassant la stagnation de ses progrès. Il ne se souciait plus d'être crédible, et avait décidé d'ignorer les quolibets qui ne manquaient pas d'entâcher sa réputation dans tous les lieux publics de Stormwind. Lui, un mâle dominateur et fier, qui avait laissé échapper sa femme légitime, était devenu la risée des hommes de bonnes familles. Le nom de Shiredwin, devenu synonyme de mauviette et d'impuissant, avait été traîné dans la boue, puis, oublié.

Ioan, fier chevalier de la Lumière, était lentement redevenu un quidam. Lorsqu'il arpentait les rues de la cité, nul ne le saluait plus, ni ne le reconnaissait. Il pouvait enfin, depuis plusieurs semaines, se montrer sans crainte qu'on ne chuchotte dans son dos de sombres moqueries. Il se demandait d'ailleurs, alors qu'il longeait les canaux de la ville, si c'est ce que Jarhod avait souhaité. Son aîné, si désireux de maintenir la réputation et les deniers de la famille, semblait avoir laissé les choses se faire. Etait-il à ce point absorbé dans son projet mystérieux que l'avenir lui importât aussi peu ? Ioan avait renoncé à comprendre. Il était encore assez riche pour continuer à se complaire dans ses plaisirs quotidiens, même si ceux-ci lui revenaient plus cher que d'avoir une femme bien à lui, à qui il pouvait en toute liberté faire subir les sinistres outrages issus de sa libidineuse et néanmoins limitée imagination. Par ailleurs, le plaisir n'était pas le même avec les femmes qui se soumettaient à lui pour de l'argent, tant il était jouissif de son point de vue, que d'anéantir la résistance d'une femme non consentante.

Tout en marchant d'un pas tranquille, il dépassa un groupe de trois personnes qui discutaient aprement. Il s'arrêta net quelques mètres plus loin. Les mots "porteuse", "épée" et "Ishara" venaient de franchir le seuil de ses oreilles et de percuter sans ménagement son esprit distrait. Il se tourna et écouta les badauds qui ne l'avaient même pas remarqué :
- T'y crois à ces racontards ? lança un rouquin sceptique.
- Pour sûr, oui. J'l'avais même vue en rêve, répondit un brun vouté et mal rasé au nez aviné.
- J'ai entendu parler de ça, intervint le troisième homme, brun également mais visiblement pas plus fortuné que ses compagnons.
- Non, parce que, c'est quand même pas évident d'faire le lien, contrecarra doctement le rouquin. T'imagines ? Si la p'tite Blackmaens qui a épousé cette brute de Shiredwin est la "porteuse", ça veut dire que toute cette histoire est vraie.

A la mention de son nom, Ioan s'était tourné vers le canal, affectant de regarder ce qui se passait sur le quai en face.

- Ouais, mais j'me tue à t'le dire, fit l'ivrogne. J'ai vu la porteuse, là, à Stormwind, comme dans mon rêve tudieu.

La remarque fouetta le sang du paladin Shiredwin. Il ne put s'empêcher de tourner la tête et de dévisager les trois hommes comme pour marquer leurs traits dans son esprit.

- Et elle avait l'épée, c't'épée maudite dont parle la légende. J'te jure. Empaquetée dans les linges elfiques ou un truc comme ça, insista l'homme au nez rouge.
Le troisième homme hocha la tête.
- Elle est allée où ? demanda le rouquin.
- Elle s'balladait un peu partout. Mais j'suis sûr qu'elle est allée à la cathédrale.

Un hoquet de surprise échappa à Ioan, attirant l'attention sur lui. Il fît mine de toussoter et quitta aussitôt la place. En tournant à l'angle de la rue la plus proche, il jeta un oeil aux trois hommes qui devisaient comme des comploteurs en le montrant discrètement du doigt.

Sans attendre, il se rendit à la Cathédrale. Il bouillonnait de rage à l'idée que Nausicaâ ait pu se déplacer dans Stormwind aussi ouvertement, alors même qu'il ne s'en souciait plus. C'était une nouvelle insulte, le pire affront qu'on puisse lui faire. Il déboula dans le lieu saint et, sous le regard réprobateur de plusieurs prêtres, il se précipita vers la grande prêtresse Laurena, à laquelle, dans son souvenir, son épouse venait régulièrement adresser quelques mots. Celle-ci toisa le colosse essouflé d'un oeil sévère.

- Eh bien, chevalier Shiredwin, que se passe-t-il ?
Ioan était un peu décontenancé d'avoir été reconnu, mais son orgueil de mâle repris très vite le dessus.
- Ma femme est venue ici, à ce qu'il paraît. Je viens m'enquérir de sa situation.
D'un air mi-compatissant, mi-amusé, Laurena répliqua :
- Votre épouse est bien venue ici et nous avons échangés quelques mots. J'ignore cependant où elle est allée ensuite. Elle ne serait pas revenue en votre logis ?
Le paladin accueillit ces mots choisis comme des piques glacées. Qui, ici, n'était pas au courant de sa déchéance ? Il se le demandait. Mais peu désireux de céder devant cette petite et vieille prêtresse suffisante, il répondit séchement :
- Je ne vois pas très bien en quoi cela vous regarde ! Au plaisir, votre sainteté.
Il se retira devant l'air pincé de Laurena et retraversa la nef sous les regards curieux, mécontents et moqueurs des gens présents. Dès qu'il fut hors des murs de la Cathédrale, Ioan courut chez son frère. Entrer chez lui et le sortir d'une "expérience" de toute urgence ne fut pas des plus aisés, mais, enfin, Jarhod se présenta devant lui, le visage placide.
- Frère, dit le colosse. Nausicaâ est de retour à Stormwind ! Je vais la retrouver.
- Tu ne feras rien, cher frère, fit calmement son aîné.
Ioan le dévisagea avec perplexité.
- Mais... Je ne comprends pas, balbutia-t-il.
- Il n'est pas nécessaire que tu comprennes. En l'occurrence, ne pas la chercher ne représente pas un gros changement par rapport à tes plus récentes activités.
- Mais cette garce est ma femme ! rugit Ioan hors de lui.
Froidement, calmement, avec, dans le regard, de la glace figeant littéralement le géant sur place, Jarhod ajouta :
- Ne tente rien, où tu le regretteras.

La conversation s'arrêta là. Pestant contre les projets incompréhensibles de son frère, Ioan quitta la demeure familliale. Il lui vint à l'esprit qu'il pourrait tout de même la chercher et se venger d'elle, pour les mois d'humiliation que sa fuite lui avait infligé. Mais il ne perdait pas de vue la sourde menace de Jarhod, laquelle, il le savait, serait implacable et sans appel. Le paladin soupesa la bourse qu'il avait avec lui. Il prit la direction de la vieille ville, où, il le savait, se trouvait un petit marché noir d'esclave. Ce soir, se disait Ioan, une catin ne suffirait pas à assouvir ses désirs violents.